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5 juillet 2013 5 05 /07 /juillet /2013 14:49

               Je viens de passer dix jours en Cisjordanie dans le cadre d'un comité de jumelage Hennebont (56) / Halhul.

A mon retour, j'ai éprouvé la nécessité de témoigner de ce que j'y ai vu, entendu, appris.

 

                      Arrivée à Tel Aviv. Aéroport magnifique, luxueux, un luxe de bon goût. Le message est bien reçu : nous arrivons dans un pays riche. Ce jour-là aucune présence militaire ni dans l'aéroport ni à l'extérieur. Plusieurs interrogatoires d'intimidation. Nous prenons la route de Jérusalem. Des drapeaux israéliens flottent partout : aux voitures, aux maisons, le long des routes. Aucun doute là non plus : nous sommes en Israël. Nous empruntons des routes à plusieurs voies en parfait état, nous longeons des collines au flanc desquelles sont bâties des maisons luxueuses, immenses.

                Il est interdit aux Palestiniens de passer par Tel Aviv pour se rendre à l'étranger. Ils doivent transiter par la Jordanie (après obtention de maints visas, contrôles, autorisations, tracasseries….)

 

Jérusalem

            Le 9 décembre 1917, après la capitulation des Turcs, les forces britanniques entrent dans Jérusalem qui devient la capitale administrative et politique de la Palestine mandataire. Promise à un statut international en vertu du plan de partage de novembre 1947 rejeté par les Palestiniens en raison, notamment, de son caractère inégalitaire, Jérusalem est prise d'assaut par les troupes sionistes en avril 1948.

           La ville, pour la première fois de son histoire, est coupée en deux parties. La Jordanie occupe la Vieille Ville et les lieux saints. Israel prend le contrôle des parties ouest et sud de la ville.

          Les troupes sionistes engagent alors la "guerre d'indépendance" marquée par une politique d'épuration ethnique contre la présence arabe en Palestine qui eut pour conséquence la première vague d'immigration.

          En 1948 l'état juif se vit attribuer 56 % du territoire de la Palestine. Chaque année, le 15 mai, est commémorée la Nakba : la Catastrophe, début de la spoliation de la terre et de l'exil. Ce jour-là, des manifestations ont lieu, régulièrement réprimées par l'armée israélienne.

          En juin 1967, après la victoire d'Israël lors de la guerre des Six-Jours, Jérusalem-Est est annexée au reste de la ville. En 1980 la Knesset proclame Jérusalem " capitale éternelle de l'Etat d'Israël" situation de fait que ne reconnaît pas la communauté internationale mais pas plus qu'elle ne reconnait Jérusalem comme capitale du futur Etat palestinien.

 

Jérusalem, ville mythique, ville mystique, ville de toutes les confessions, de toutes les convoitises, de toutes les violences.

Nous découvrons les quatre quartiers de la vieille ville :

- le quartier musulman : une plongée dans l'Orient avec son souk, son extrême animation, ses épices odorantes et colorées, ses nombreux petits commerces où l'on trouve absolument de tout dont des vêtements kitch voire coquins (mais quand, diable, et où ces femmes voilées portent-elles cela ?), ses ruelles innombrables qui semblent ne mener nulle part ailleurs que sur elles-mêmes.

          Magnifique ambiance où des "where do you come from ? Welcome ! Welcome !" fusent. Mais au détour d'une allée, des militaires israéliens en faction par groupe de 2, 3 ou 4, armés jusqu'aux dents, nous rappellent où nous sommes. Nous découvrons peu à peu que ces militaires sont partout.

           C'est dans ce quartier musulman que l'on peut voir la magnifique esplanade du dôme du Rocher, troisième lieu saint de l'Islam. Après la prise de la vieille ville en 1967, le drapeau israélien flotta sur le dôme du Rocher, et c'est sur ce lieu que pénétra en 2000 Ariel Sharon accompagné de dirigeants politiques et de centaines de soldats. Cette provocation, visant à confirmer la souveraineté israélienne sur le Haram el-Sharif et sur Jérusalem Est, fut le détonateur de la deuxième Intifada

          - le quartier chrétien où des pèlerins transportés par leur foi refont le chemin de croix dans une extase qui semblent les isoler du reste du monde et de ses conflits

          - le quartier arménien qui abrite la plus ancienne communauté chrétienne de Jérusalem.

           - le quartier juif : en 1967 le quartier des Maghrébins fut entièrement détruit et remplacé par ce quartier juif : habitat artificiel, fermé sur lui-même, lieu aseptisé, enfants peu amènes. Sentiment de malaise. Ce quartier domine l'esplanade du Mur des Lamentations où l'on pénètre par un check-point. L'endroit fourmille de militaires. Le Mur des Lamentations est ainsi appelé parce qu'à l'aube, les pierres se couvrent de rosée : la tradition dit que ce sont les pleurs du peuple juif. Lieu hautement symbolique de la croyance juive mais sa reconnaissance comme lieu de prière ne remonte qu'au XVIIe siècle. Mystification de l'histoire ?

 

                      Et puis, dans et partout autour de Jérusalem, nous apercevons des groupes de maisons neuves, aux toits de tuiles, cernées de hauts murs surmontés de barbelés et au-dessus desquels sont visibles de multiples caméras et le drapeau à l'étoile de David : les colonies. Les colons y vivent barricadés, totalement coupés de la population locale.

         Ces colonies, dont l'augmentation est de 250 % dans toute la Cisjordanie depuis 10 ans, mettent en évidence le caractère colonisateur, ethnocentriste et ségrégationniste de l'entreprise sioniste. Même au sein du quartier musulman, on peut voir de ces maisons fortifiées qui partout mitent le paysage urbain et rural. 

          Ces constructions vont de pair avec une infrastructure sécuritaire massive : barrières, murs et zones tempons . Des kilomètres de routes de contournement relient les colonies entre elles et au reste d'Israël et elles sont généralement interdites aux Palestiniens. Israël justifie son intense présence militaire par la nécessité d'assurer la sécurité de ses colons.

         La construction de 6 600 nouveaux logements dans Jérusalem Est est prévue par l'état Israélien en représailles à l'octroi à la Palestine par les Nations Unies du rang d'Etat observateur. A Jérusalem, le processus de nettoyage ethnique est en oeuvre : démolitions d'habitations, expropriations, interdictions de construire ou d'acheter….

 

Ramallah (le Mont d'Allah en arabe)

              

            Nous voici en territoire palestinien. Enfin, officiellement….

Ramallah se situe à seulement 16 km de Jérusalem, mais est coupée de la Ville sainte par le mur. Passage sans difficulté au check-point. Nous nous déplaçons en taxi (prix dérisoires) ou en cars collectifs.

                 Depuis l'arrivée de l'autorité palestinienne en décembre 1995, la ville est devenue capitale administrative, culturelle et politique et abrite de nombreuses organisations non gouvernementales, plusieurs institutions politiques : parlement, ministères et des universités. 

              Atmosphère à la fois traditionnelle et d'une certaine modernité. Nous nous arrêtons dans un bar plutôt branché où des hommes fument le narguilé, et où des femmes sont attablées entre copines. Comme à Jérusalem, certaines d'entre elles ne couvrent pas leurs cheveux.

           Quelques instants de recueillement sur la tombe d'Arafat qui repose dans un mausolée d'une grande beauté dans sa sobriété.

          Autre pèlerinage sur la tombe du poète et résistant Mahmoud Darwich mort en 1966 :

"inscris ! Je suis arabe Sans nom de famille -

je suis mon prénom "patient infiniment" dans un pays où tous vivent sur les braises de la Colère

Inscris ! En tête du premier feuillet Que je n'ai pas de haine pour les hommes Que je n'assaille personne Mais que.. si j'ai faim Je mange la chair de mon Usurpateur Gare ! gare ! Gare A ma fureur ! "

 

Naplouse

 

              L'année dernière encore le groupe avait été reflué à un check-point et il lui avait été impossible d'entrer dans Naplouse. Pas de problème cette fois. Il semble que la levée de certaines difficultés ne soit pas le signe d'un assouplissement de la part d'Israël, mais tend au contraire à prouver sa souveraineté dans un état où elle n'a plus besoin de montrer sa force !

             Naplouse est aujourd'hui une ville autonome palestinienne (en zone A donc : 18% du territoire, la zone B se partageant le contrôle entre israéliens et palestiniens : 20% du territoire, et la zone C ne dépendant que de l'Etat d'israël : 62 % du territoire) mais elle est cernée par de nombreuses colonies.

            La ville semble être en plein développement après avoir été la cible de nombreux bombardements, en avril 2002 notamment, et soumise aux couvre-feux. La situation économique de la ville, qui compte de nombreuses petites manufactures (savonneries, mobilier, matériaux de construction) reste assujettie, comme nous l'expliquent des producteurs ou commerçants, à deux contraintes principales : les restrictions israéliennes à l'exportation et la dépendance vis-à-vis du marché israélien.

 

                Le retour à Jérusalem est compliqué : nombreuses voitures bloquées à un check-point. Nous descendons du car et entrons dans une sorte de gare routière où une longue file de piétons attendent, les uns derrière les autres, entre une rangée de barreaux.

             Vingt bonnes minutes passent sans que personne n'ait avancé. La file s'allonge. Un Palestinien revient du poste de contrôle en nous informant qu'il vient d'être refoulé. Nous renonçons et allons vers un chauffeur de taxi qui nous a déjà hélés et, "téléphone arabe" aidant, sait par où nous faire passer plus facilement. Nous devrons juste au check-point suivant présenter nos passeports et répondre tant bien que mal aux questions posées par de très jeunes militaires sur un ton froid, sec et arrogant.

             Les Palestiniens ont continué d' attendre, eux. Cette restriction à leur liberté de mouvement nous offusque. Ils semblent résignés. Nous apprendrons que tous leurs déplacements sont soumis à des autorisations délivrées de façon aléatoire et arbitraire, à des contrôles permanents et humiliants, que certains lieux leur sont interdits, qu'aller seulement de Hébron à Jérusalem nécessite démarches et tracasseries de tous ordres et qu'ils renoncent souvent de fait à se déplacer. Beaucoup regrettent de ne jamais voir la mer, dont ils sont pourtant si proches, tant de la Mer Morte que de la mer Méditerrannée.

 

               Nous partons nous installer à l'hôtel d'Hébron où nous resterons pour le restant de notre séjour. Ici aucun touriste.

          Le long de la route, toujours des colonies, et des oliveraies dont certaines ont été littéralement rasées !

           Hébron est la première ville de Cisjordanie après Jérusalem par sa population et la région la plus urbanisée : 67 % des habitants sont citadins.

         Elle a été le témoin de nombreuses violences : dans le souk, près de 80 % des boutiques ont fermé du fait des exactions israéliennes. En 1994 le quartier comptait 10 000 palestiniens ; en 1996 ils n'étaient plus que 500. Aujourd'hui 5 500 personnes sont revenues y vivre.

             La ville a été soumise au couvre-feu durant toute l'année 2000. Nous remarquons un filet tendu au-dessus de nombreuses ruelles du souk : ce surprenant dispositif a été installé pour protéger les Palestiniens des projectiles en tout genre que leur lancent des colons installés au 1er étage des maisons ! Prés de 500 colons occupent la vieille ville et sont protégés par 1 500 soldats israéliens.

            La ville compte de nombreuses spécialités : les cuirs, les peaux, les tapis, les chaussures, le verre soufflé, les produits dérivés du raisin.

          El-Haram el-Ibrahimi, tombeau des patriarches, est le monument le plus ancien de Hébron. Une moitié de la mosquée a été transformée en synagogue ! Check-point et lieu hautement surveillé. Nous apercevons dans la rue un colon armé d'une mitrailleuse. Il marche vite, en rasant les murs.

 

           Et enfin Halhul qui jouxte Hébron, où nous sommes reçus par des élus municipaux, le maire étant absent. Accueil bienveillant et marque d'intérêt certain pour le jumelage (nouvelle municipalité qui semble adopter la position de la précédente) Spécialité de la ville : la faïencerie artisanale, magnifique.

       Nous visitons une école de filles, de garçons, un centre sportif, un centre pour handicapés, la caserne des pompiers. A la fin de chacune de nos visites, une demande d'équipement ou de matériel est formulée. Le comité de jumelage n'a pas pour vocation de faire oeuvre humanitaire mais de favoriser des rencontres. Il participe néanmoins régulièrement à de modestes projets. 

        Malaise devant des besoins flagrants.

Nous sommes reçus par des familles chaleureuses, accueillantes, qui cuisinent pour nous avec beaucoup de talent et de générosité. Le mot "fraternité" prend ici un sens très fort.

       Le président du comité de jumelage de Halhul, Rahed qui a fait en France des études d'ingénieur agronome, nous parle de son métier : producteur de raisin. Il est aussi mécanicien, marié à une femme vivant à Jérusalem (situation très compliquée pour eux puisque les Palestiniens de Cisjordanie ne peuvent s'y rendre) et militant communiste. Il est aussi président d'une coopérative agricole dont le projet se concrétise lentement, trésorerie difficile oblige.

          La coopérative permettra aux producteurs de fruits alentour (350 adhérents) d'écouler leurs produits en étant moins soumis aux restrictions à la circulation des marchandises (importations, exportations, circulation interne) dont ils font l'objet et peu compatibles avec des produits frais : Rahed nous explique qu'un camion de fruits peut être délibérément bloqué à un check-point plusieurs heures en plein soleil de sorte que la commercialisation soit rendue impossible du fait de l'état du chargement. Israël exploite ces blocages et restrictions en inondant la Cisjordanie de ses propres produits.

           Le but de la coopérative est donc l'achat en commun de matériel permettant la transformation des fruits en jus, confitures, conserves et des filières de commercialisation et d'exportation.

         Rahed évoque aussi avec pudeur les multiples arrestations dont il a fait l'objet, lui et nombre des gens que nous rencontrons, et leurs conditions terribles d'emprisonnement. Nous sommes accablés. Les victimes d'antan deviendraient-elles les bourreaux d'aujourd'hui ???? Actuellement 11 000 Palestiniens sont emprisonnés dont des femmes et des mineurs, sans procès ni jugement.

           Nous déjeunons avec un avocat travaillant à la réhabilitation de l'habitat de Halhul. C'est lui qui nous parle des 250 % d'augmentation des colonies depuis les accords d'Oslo, qui nous dit qu'il y a actuellement 10,2 millions de Palestiniens réfugiés dans le monde, et plus que 2,4 millions de Palestiniens en Cisjordanie, que si des accords n'interviennent pas rapidement, dans 10 ans prédit-il, il n'y aura plus de Palestiniens, lui toujours qui nous explique que tout est sous contrôle de l'occupation : l'eau (Israël contrôle 82% de l'eau de Cisjordanie - il est interdit aux Palestiniens de creuser des puits ou d'augmenter la profondeur de ceux existants ; ils sont contraints d'acheter l'eau), les terres, les routes.

         La question lui est posée des moyens de résistance : tous les choix sont ouverts, y compris une 3e Intifida car la Palestine est une poudrière. Tous ici oscillent entre la colère, la résignation et …. l'espoir.

                 Nous visitons un village près de Bethléem, entré en résistance pacifique et nommé 'tent of the Nations" : quelques villageois occupent un terrain cerné de toutes parts par des colonies, aidés de bénévoles internationaux qui y travaillent temporairement, Les colons ayant interdit l'accès à l'eau et l'électricité, ces bénévoles y ont installé des panneaux solaires, des toilettes sèches, des réserves d'eau de pluie, plantent des arbres et vivent sous des tentes.

          Interdiction de bâtir, de transformer, d'agrandir. La moindre désertion de population équivaudrait à la disparition de ce petit territoire. Chacun, Palestiniens comme Israéliens, vit dans un espace barricadé, cadenassé. L'accès par la route à ce village a été obstrué par les bulldozers des colons. L'accès aux colonies se fait par des routes flambant neuf, interdites aux Palestiniens….. Une proportion importante du district de Bethléem a été confisquée pour la construction du mur, des routes de contournement et pour l'expansion illégale des colonies. On compte trois camps de réfugiés à Bethléem. Ces gens n'ont aucun droit, aucune ressource.

 

La situation ici nous semble dramatique, désespérée, désespérante. Le silence de la communauté internationale participe de cette désespérance.

 

"Comment un homme ou un peuple peut-il s'emparer d'un territoire et en priver le genre humain, autrement que par une usurpation punissable, puisqu'elle ôte au reste des hommes le séjour et les aliments que la nature leur donne en commun ?" J. J Rousseau - Du contrat social.

 

Claudie Sennator

Quistinic (56)

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