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19 septembre 2014 5 19 /09 /septembre /2014 09:49

Entretien de Michel Warschawski par Sylvain Thevoz, jeudi 18 septembre 2014

 

L’offensive sur Gaza a rendu évi­dente l’hégémonie de la droite raciste et mili­ta­riste en Israël. Au point de faire peur à de nom­breux citoyens qui ne recon­naissent plus leur pays et craignent de le voir dis­pa­raître, témoigne Michel Warschawski.


Que dit l’offensive mili­taire contre la bande de Gaza de la société israé­lienne ? Quelles consé­quences aura-t-elle sur l’avenir du Proche Orient ?

 

Basé à Jéru­salem, le jour­na­liste franco-israélien Michel War­schawski, ardent opposant à la colo­ni­sation, est aussi un fin ana­lyste du conflit. Bien connu des lec­teurs du Courrier, dans lequel il tient une chro­nique men­suelle, ce fils de rabbin, né à Stras­bourg en 1949, est aujourd’hui le prin­cipal ani­mateur de l’Alternative infor­mation center (AIC), un centre d’information alter­native. Le conseiller muni­cipal genevois Sylvain Thévoz l’a ren­contré à Jéru­salem, alors que les bombes pleu­vaient encore sur l’enclave pales­ti­nienne de Gaza [1].

 

Sylvain Thévoz : Pourquoi cette guerre à Gaza ?

 

Michel War­schawski : Il faut tout d’abord dire que Gaza est secon­daire. Pourquoi la guerre, point.

A mon avis : pour repousser le plus long­temps pos­sible toute vel­léité inter­na­tionale de tendre à l’ouverture de négo­cia­tions. L’ennemi stra­té­gique du gou­ver­nement israélien, c’est la négo­ciation. Ce gou­ver­nement ne veut pas négocier. Certes, dans l’air du temps, il y a comme une volonté amé­ri­caine et euro­péenne de pousser Israël à négocier. Il leur faut donc faire contre-feu. Il était clair qu’en atta­quant Gaza, les négo­cia­tions seraient rendues impos­sibles. C’était l’objectif stra­té­gique le plus important.

 

Dans le même état d’esprit, la cible n’est pas le Hamas, c’est Mahmoud Abbas (pré­sident de l’Autorité pales­ti­nienne et leader du Fatah, ndlr). Mahmoud Abbas est celui que la com­mu­nauté inter­na­tionale pré­sente comme prêt à dis­cuter ; celui dont tout le monde dit à Israël : « C’est avec lui que vous devez parler. » En atta­quant Gaza, ce gou­ver­nement met Mahmoud Abbas dans une situation impos­sible. Soit il se soli­darise avec Gaza et donc avec le Hamas, ren­forçant le dis­cours de Neta­nyahou qui dia­bolise le Hamas et sa propre per­sonne. Soit il se déso­li­darise, et perd alors toute légi­timité pales­ti­nienne.

Pour Israël, cela semble donc être une situation « win-win ». Sauf que cela ne se passe pas tout à fait comme cela. Car Mahmoud Abbas est poussé par les Amé­ri­cains à jouer le rôle d’intermédiaire. Le pré­sident de la Palestine se trouve ainsi à jouer le rôle des Nations unies alors que c’est son peuple qui est attaqué. Mahmoud Abbas reste au cœur de l’action diplo­ma­tique. Ils n’ont pas réussi à le neu­tra­liser, mais sa position est fragile.

 

Un sondage dit que 80% des Israé­liens sou­tiennent l’intervention à Gaza. Quel regard portez-vous sur cette société, qui a glissé vers la droite et semble suivre aveu­glément Neta­nyahou et Lieberman ?

 

Il n’y a pas l’ombre d’un doute, les hommes poli­tiques et le gou­ver­nement, ont clai­rement glissé à droite en Israël. Et pourtant, je pense que la société israé­lienne est divisée sur le fond en deux moitiés – une grande et une petite. Un peu moins de 50% sou­tiennent la poli­tique de la droite et votent pour ces partis. L’autre moitié n’aime pas les colons, se moque du Grand Israël et aspire à une solution de com­promis. Et puis, il y a quand même, au milieu, une petite frange qui s’abstient ou vote pour des partis du centre.

 

La grande asy­métrie entre ces deux pans de la société, c’est que la droite est au pouvoir. Elle agit, dans une urgence per­ma­nente, alors que les modérés, qui ne paient pas le prix de la colo­ni­sation, sont insou­ciants. La situation est calme, rien ne semble menacer Israël – jusqu’à cette der­nière crise. La sécurité indi­vi­duelle est garantie, les bombes n’explosent plus, Israël est une société per­for­mante, son éco­nomie tourne : pourquoi changer ? Face à cela, la droite avance. Ce n’est pas l’absence d’une oppo­sition poten­tielle, mais son anomie qui pose problème.

 

A la mani­fes­tation de Tel Aviv du 2 août, la majorité des par­ti­ci­pants étaient des Tel-Aviviens typiques, tota­lement « dési­déo­lo­gisés », plongés dans la consom­mation. C’était, je dirai presque, les bobos de Tel Aviv. Ils se sont mobi­lisés pour Gaza. Oh, pour cer­tains, ils avaient même une petite larme dans le cœur. Ils avaient vu des photos, même si ici, il faut les chercher. Mais pourquoi manifestaient-ils, alors qu’ils le font si rarement ? Parce qu’ils ont surtout peur pour leur Israël, leur Tel Aviv détendu, non idéo­lo­gique, plutôt à gauche qu’à droite, qui est sévè­rement menacé.

 

Ils voient désormais émerger un pays de tueurs où Neta­nyahou devient presque le centre ! Avec comme déto­nateur, l’assassinat [du jeune Pales­tinien] Mohammad Abou Khdeir, brûlé vif par trois citoyens israé­liens. Le gou­ver­nement a eu beau dire que ce sont trois illu­minés… Pas du tout. Ils sont dans la conti­nuité d’une poli­tique. Ce sont des gens qui viennent de bonnes familles de droite, de familles res­pectées. Ils sont l’expression d’une partie d’Israël qui s’intègre dans un dis­cours raciste, vote des lois racistes. On n’aurait jamais imaginé cela il y a quinze ans. Cer­tains se réveillent main­tenant en se disant : « ce n’est pas notre Israël ! »

 

Quinze ans ce n’est pas un jour, mais c’est un rythme extrêmement rapide.

 

Oui, c’est très rapide. Le tournant date de 2000. C’est la recon­quête, la fin du mou­vement de la paix. Ce sont les posi­tions et les dis­cours d’Ehud Barak qui détruisent la paix. Les gens n’y croient plus. Ainsi la moitié qui n’est pas de droite sort démo­bi­lisée, débous­solée de ces années, offrant un monopole idéo­lo­gique à la droite.

 

En 2013, le parti de Yaïr Lapid (Yesh Atid, fondé en 2012, dont le nom signifie « il y a un futur », ndlr) a reçu dix-neuf mandats, 10% des votes, alors qu’il est un peu comme Beppe Grillo en Italie, « ni de droite ni de gauche, ni pour ni contre, ni ni ». Lapid a une belle gueule et prétend tout changer. Il était star de télé, n’a jamais pris position poli­ti­quement avant de se pré­senter aux élec­tions et d’être plé­biscité à Tel Aviv. Clai­rement, il a une idéo­logie de droite raciste, for­tement posi­tionnée contre les pauvres. Son pro­gramme ? « Nous, à Tel Aviv, on ne veut pas payer pour les va-nu-pieds. »

 

Mais ce qui est inté­ressant, c’est de voir la jeu­nesse, ceux qui ont 30 ans, fatiguée de la vieille poli­tique, ne voter pour rien ou pour quelque chose qui ne veut rien dire, qui n’est engagé à rien, et qui donc demeure libre de faire ce qu’il veut. La mani­fes­tation de Tel Aviv était la prise de conscience de la classe moyenne que leur Israël est soumis au risque de dis­pa­raître. J’étais dans un des cafés branchés de la ville et leur dis­cours était : « On va partir. Ce pays com­mence à sentir mauvais, on ne s’y reconnaît plus. Lie­berman, Neta­nyahou, les colons, ce n’est pas nous. »

 

Certes, ils ne par­tiront pas. Mais cela leur permet de ne pas assumer, de ne pas lutter. Ils sont résignés dans cette condition de refus, mais inca­pables à ce jour de pro­poser autre chose.

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